mercredi 23 février 2011

REVOLUTION TIMES - LA SCENE REDSKIN EN ALLEMAGNE

La longue et éclairante interview qui suit est celle de Kim, le principal rédacteur de l'excellent red-skinzine allemand REVOLUTION TIMES (voir en rubrique "zines"). Pour se procurer ce zine, il faut envoyer au moins 5 Marks (ou 20 balles à défaut) à Revolution Times, Postlagernd, 23501 Lubeck, Allemagne. Nous, on vous le conseille vraiment, car c'est certainement ce qu'on peut faire de mieux sur la scène red, tant au niveau de la régularité de la parution (à peu près tous les trois mois), de la longévité (11 numéros déjà !), et de la pertinence politique. Bien sûr, c'est écrit en allemand, mais bon...
Red and Black Greetings Kim, and long way ! Together, we are strong ! Together, we'll win ! RASH United !

Barricata - Peux-tu nous parler de Revolution Times ? Depuis quand existe le zine, quelle est sa diffusion, comment se situe-t-il politiquement? Depuis combien de temps es-tu redskin, et quels sont tes liens avec les autres reds d'Allemagne, d'Europe ?
Kim - Je suis devenu communiste vers 1988/1989, et je suis redskin depuis 1993. J'ai donné beaucoup de temps, d'énergie et d'argent à ce mouvement. J'ai organisé des concerts et des manifestations. Je m'occupe du fanzine et je participe à diverses actions menées avec des camarades qui ne sont pas forcément redskins. Nous nous battons avec les nazis. Ils veulent nous faire la peau, mais on continue !
Le premier numéro de Revolution Times est sorti en août 1995 (le RASH Allemagne a été fondé en mars 1995), le numéro #11 date de décembre 1999...Le fanzine est une plate-forme et un forum pour les redskins et les autres skins antifascistes. Avant Revolution Times, il y a eu une longue période en Allemagne sans aucun fanzine redskin. Aujourd'hui, la plupart des skinzines allemands sont "non-politiques", seulement orientés vers le "fun". C'est notamment le cas de Skintonic, devenu Skin Up. C'était le zine des Sharps. Mais depuis quelques années, il n'est plus qu'un magazine libéral de musique, antiraciste certes, mais sans aucune position politique. Nous sommes trop politiques à leurs yeux.
Revolution Times a répondu à une attente, il a permis de rompre, dans une certaine mesure, avec l'isolement de beaucoup de redskins. Il a comblé un vide. Aujourd'hui, ce zine est la voix des skins de gauche, même si nous avons nos propres vues, mais ceux qui nous lisent le savent.
Moi, je crois au Communisme des Conseils (conseillisme). Je suis pour une véritable démocratie ouvrière, sans la dictature d'un parti ou d'une classe, sans Etat ni salaire. Mon projet politique, c'est d'abolir le modèle d'économie et de pensée capitaliste. En URSS, la classe dirigeante, non sans hypocrisie, parlait de son Etat comme d'un Etat ouvrier, alors que les travailleurs n'avaient aucun droit, et que les Conseils ont été détruits par cette même "avant-garde de la classe ouvrière" à Cronstadt en 1921. La classe ouvrière s'était levée pour réaliser une des thèses de 1917 ("tout le pouvoir aux soviets !"). Les bolcheviks ont privé les conseils de leurs pouvoir et ont éliminé physiquement les vieux combattants comme les anarchistes, les anarcho-syndicalistes, les communistes de gauche, ainsi que les ouvriers qui tentaient d'autogérer les usines. Pour moi, le communisme et la Révolution Sociale ne sont pas la "chose" d'un parti, mais découlent du développement du mouvement des masses. On ne décrète pas le socialisme, il vit dans la créativité des masses. D'une certaine façon, je suis plus proche d'un anarcho-syndicaliste que d'un capitaliste d'Etat se disant "communiste".
Aujourd'hui, Revolution Times est diffusé à hauteur de 500 exemplaires par numéro. Nous avons des lecteurs dans toutes les parties de l'Europe et du monde, même au Chili et en Hongrie. Nous sommes amis avec de nombreux skins et nous étions aux fêtes de Bilbao les deux dernières années. Les basques, les français (salutations à Bordeaux, Toulouse et Dijon !), les italiens et les espagnols sont de bons potes.

B - Où en est la scène alternative en Allemagne ? Groupes, hools, militants... Quelles sont les différences entre l'Est et l'Ouest ?
K - La scène skin et punk est de moins en moins politique. Mais c'est une tendance qui touche toute la société, le pire, c'est la "Love Parade" et le "mouvement techno"...
Il est difficile de parler de scène redskin en Allemagne. Oui, il y a des concerts, parfois des manifs et des meetings comme à Giessen, il y a des zines comme Rude & Red, il y a beaucoup de monde se disant "redskin", mais il n'y a pas de structure solide. Il y a beaucoup de reds, mais ils sont assez isolés et bossent dans leur coin. Nous avons deux bons groupes, No Respect et Stage Bottles, il existe le label Mad Butcher de Mike, il y a les gens de Cable Street Beat, il y a des boutiques et des diffuseurs comme No Name à Berlin, et bien d'autres choses encore, mais il n'y a pas d'unité d'action. Le problème principal, c'est ça, trop de skins de gauche bossent de leur côté, on manque d'unité. Soit parce qu'ils ne sont pas intéressés par la politique organisée, soit parce qu'ils ne ressentent pas le besoin de s'unir. D'autres ne roulent que pour recruter pour leur propre organisation, comme Rude & Red, qui est le zine de la section allemande du SWP (trotskyste). Pour le futur, il serait bon de rompre avec cet isolement, si nous voulons être une véritable alternative à l'apolitisme et aux boneheads.
Avec Rude & Red, nous avons eu une vive discussion, car ils ont écrit dans leur zine, et dans un style plus qu'arrogant, que la plupart des redskins allemands étaient des "staliniens" ou des "embarrassants autonomes". Ils affirment que les anarchistes, les anarcho-syndicalistes et les conseillistes sont des "contre-révolutionnaires" et des "petits bourgeois". Leur but, c'est de construire la Quatrième Internationale, et de recruter pour leur orga, pas d'encourager la classe ouvrière à agir et penser par elle même. Ils ne sont pas du tout intéressés par les luttes indépendantes. Leur zine n'a pas une interview de groupe ou une chronique de disques, mais il contient un maximum de politique émanant de leur organisation. Dans une lettre qu'ils nous ont envoyé, ils défendent Trotsky pour son attitude pendant Cronstadt. En 1999, à notre meeting, ils nous ont pris la tête en monopolisant la parole et en distribuant des tas de tracts. Mais après cette démonstration, ils sont partis, ils ne sont même pas restés pour les concerts et la fête qui a suivie! On ne peut pas dire que leurs méthodes soient très bonnes pour la scène redskin allemande. Ils tentent d'introduire leur esprit "léniniste d'avant-garde" avec de si gros sabots que plus personne ne les supporte. Ils sont si convaincus de leur "vérité révolutionnaire" et de leur sagesse qu'ils méprisent les autres.
En Allemagne, il y a beaucoup de groupes de ska, et la plupart sont antiracistes, mais ils ne veulent pas en faire plus. Certains jouent parfois en soutien aux antifascistes et aux antimilitaristes. En ce qui concerne les groupes de Oi!, il n'y a presque que de la merde. Ils parlent de boisson, de violence et de stupide sexisme. Musicalement, c'est souvent très mauvais. Et je ne parle pas du public...C'est pour ça qu'on préfère aller aux seuls concerts strictement antifascistes, avec des groupes bien à gauche.
Le principal problème, c'est que les nazis sont très puissants, et qu'ils évoluent sur la scène "apolitique de droite". Ils vont à divers concerts (The business, par exemple). Or, sur cette scène, il y a de plus en plus de jeunes. Ils deviennent skins par l'intermédiaire des conneries de Georges Marshall ("just pure skinheads"), ils écoutent de la Oi!, mais pas de ska ni de reggae, ils n'ont ni buts, ni projets, ni pensée, et ils sont susceptibles de basculer facilement du côté des zinas. C'est le problème que vous avez soulevé avec le "Redskin Hate Mail" traduit dans Barricata # 3.
1999 fut pour nous une moins bonne année que 1998. Le 1er mai 1998, on avait organisé un grand meeting avec des participants de France, d'Italie, d'Allemagne, d'Espagne et de Suisse à Giessen, près de Frankfort. Die Tornados, Les Partisans, et Stage Bottles ont joué pour nous, et il y a eu des centaines de skins, punks, antifascistes, anarchistes, etc. pendant la manifestation et les concerts. En 1999, on a seulement organisé un meeting à l'Est, avec moins de succès. Nous pensons pourtant qu'il est important d'organiser des meetings à l'Est parce que les bones s'y développent et qu'il y a encore trop peu d'antifascistes radicaux, même si les redskins sont de plus en plus présents. C'est en fait dans les toutes petites villes que les fafs grossissent. A l'Ouest, leur nombre augmente dans les kops de l'HSV, de Herta BSC, Hansa Rostock, etc. A St-Pauli, le kop compte une centaine de redskins et de sharps, il y a souvent du fight avec les nazis. Le journal local de Hambourg a récemment parlé du "problème hooligan de St-Pauli". Il y a bien d'autres clubs qui ont des hools de gauche, mais leur nombre reste inférieur aux fascistes.
En réalité, les temps ne sont pas très bons, mais nous devons nous battre et vivre avec. Nous pensons comme Stage Bottles le chante dans "Take that" que "ce n'est pas notre temps, mais nous continuons !" (It's not our time, but we carry on!)

B - Comment se passent les relations avec les dirigeants ?
K - Osasuna a eu pendant 15 ans le même président, un pur fils de pute qui nous ignorait et qui aurait souhaité qu'Indar Gorri n'existe pas pour d'évidentes raisons politiques. Ensuite, la direction était très proche de l'UPN (version navarraise du PP, Partido Popular, droite ex-franquiste, NdP (Ndp = note du Président autoproclamé du RASH Paris le glorieux Chino)). Ils ont essayé de se rapprocher de nous, de nous acheter en nous filant des places gratuites, mais on les a envoyé chier. Quand cette direction s'est barrée, elle a laissé Osasuna au bord du gouffre... En janvier 98 il y eut des élections pour la présidence. Il y avait deux candidats, un de gauche et un de droite, du PP. Nous avons fait une assemblée pour savoir si on allait soutenir le candidat de gauche. Nous avons décidé que nous le soutiendrons car c'était le moins pire (ex-indépendantiste, avec un frère membre d'ETA et un fils à Indar Gorri). Il a gagné en partie grace à nous, et par son biais nous avons réussi à faire rentrer la langue basque dans notre stade et à célébrer le Bai Euskarari avec d'autres collectifs populaires). Bref, les relations sont assez bonnes.

B - Qu'en est-il de la scène faf ?
K - La scène bonehead est plus organisée que dans les années 80 et au début des 90's. Ils sont structurés entre "Hammerskins" et "Blood and Honour". Ils ont des connections avec le parti nazi NDP (dont le but est le "national-socialisme"...) et son organisation de jeunesse JN, ainsi qu'avec la " Freie Kameradschaften" ("libre camaraderie"), qui remplace les groupes nazis NF et FAP, aujourd'hui interdits. Les boneheads ont beaucoup de labels, de groupes, de zines, ils organisent des meetings et des concerts, ils sont présents sur le net, leur scène grossit. Mais le niveau politique de la majorité d'entre eux est très bas.
Il y a deux "tendances" sur la scène nazi. Certains, déçus par les échecs électoraux, vont vers le terrorisme, ils cherchent à construire une sorte de "Fraction armée brune", c'est le cas d'une partie des membres de la Freie Kameradschaften. D'autres, ceux des JN et du NPD, parlent du besoin d'un "socialisme national" et tentent de récupérer les vieux cadres du parti stalinien SED de l'ancienne RDA, ils cherchent aussi à gagner les électeurs du PDS (ex-communistes. Ndlr). Ils disent qu'ils veulent abolir le capitalisme et l'exploitation des travailleurs. Ils justifient la séparation de la société en classes comme "naturelle". Le national-socialisme, c'est pour eux une "police sociale dans leur propre nation".
Certains nazis se sont organisés en "cercle NS près et dans le NPD" ("NS in und bei der NDP"), ce cercle comprend des anciens staliniens des groupes SED/SEW. Ils admirent la Corée du Nord car ils voient ce système sanglant comme le "parfait socialisme national", vous voyez ce que socialisme veut dire pour eux...Ce n'est pas la liberté et l'égalité, mais le tout-Etat et la répression. Le nationalisme, mais sûrement pas le socialisme.

B - Quelle place pour Revolution Times et pour les Reds dans le mouvement social ?
K - Le problème, c'est qu'en Allemagne, il n'y a pas de grand mouvement social en ce moment. Il n'y a que des combats isolés (occupations d'usines). Seuls quelques uns d'entre nous sont impliqués. C'est pour ça que nous nous intéressons aux luttes sociales des autres pays comme la France, le Pays Basque. Notre place doit être là où notre classe se bat pour son droit à une autre vie. Pour nous, il est évident que les redskins sont une part du mouvement qui se bat pour le Socialisme et contre Capitalisme, Fascisme et Stalinisme. Notre devoir, c'est d'aider et de supporter les combats de notre classe, de la classe ouvrière, pour son auto-organisation et contre tous ceux qui blessent ce processus d'auto-organisation. Un redskin d'Allemagne de l'Est publie maintenant un zine conseilliste qui s'appelle Soziale Befreiung ("libération sociale"). C'est un zine dédié au communisme libertaire. Il veut encourager les discussions sur la théorie et la pratique de la lutte des classes. Sinon, la plupart des redskins allemands sont organisés dans leurs propres groupes et organisations. A la dernière manifestation en mémoire de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht (grandes figures communistes "spartakistes" assassinées par les Corps Francs aux ordres de la social-démocratie en janvier 1919. Ndlr), il y avait beaucoup de skins avec une conscience de classe. Tous les manifestants qui ont été arrêtés cette année étaient en fait des skinheads.

B - Des salutations ?
K - Nous voulons vous remercier de la possibilité de cette interview. Nous saluons tous les Redskins de France, les communistes libertaires et les lecteurs du zine Barricata. La lutte continue!!! (en français dans le texte. Ndlr) Si vous êtes intéressés par notre zine, envoyez 5 Marks à Revolution Times (adresse ci-dessus) ou visitez notre site internet:http://www.partisan.net/inhalt.html
Je pense qu'après les guerres en Yougoslavie et en Tchétchénie, il y a grand besoin d'Internationalisme prolétarien, nos relations doivent s'inscrire comme telles. Nos positions doivent être anti-impérialistes, il faut se battre contre les relations capitalistes. La guerre de l'OTAN en Yougoslavie ne devrait pas être la dernière au nom des "droits de l'homme".
Il y a trois livres que je voudrais recommander aux lecteurs de Barricata. La Révolution Inconnue de Voline; Les Bolchéviks et le contrôle des travailleurs, Etat et contre-révolution de Maurice Britons; et Mai 68, subversion et offense.
Pas besoin de représentants ou de leaders, même "progressistes". Agissez et pensez par vous-même! Prenez le contrôle de vos vies. Il n'y a que vous pour vous rendre libre! L'auto-organisation est le chemin et le but de la Révolution socialiste internationale ! Votre combat est notre combat ! Stay rude, stay skinhead ! Salutations noires et rouges !!!


Tiré de Barricata n°4 (Mars 2000)

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